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Titel
Louis Ruchonnet 1834-1893. Un homme d'Etat entre action et idéal.


Autor(en)
Meuwly, Olivier
Reihe
Bibliothèque historique vaudoise 128
Erschienen
Lausanne 2006: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
470 S.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Marc Vuilleumier

Sur Ruchonnet, on ne disposait, jusqu’à maintenant, que de biographies déjà anciennes (la plus récente remonte à 1936), d’un caractère hagiographique plus ou moins prononcé. Aussi accueillera-t-on avec plaisir cette thèse de la Faculté des Lettres. Comme il se doit, elle se fonde sur une abondante documentation : lettres de Ruchonnet, partout où elles ont pu être détectées, papiers de celui-ci, ou plutôt ce qui en subsiste après leur passage entre les mains de propriétaires successifs, papiers de personnages en rapports ou liés avec lui, archives officielles, bien sûr, à Lausanne et à Berne, où Ruchonnet sera conseiller fédéral de 1881 à sa mort. Relevons encore, sans vouloir tout citer, le fonds de l’Union Vaudoise de Crédit, dans les Archives de la Banque Cantonale Vaudoise ; malheureusement les dossiers de cette création de Ruchonnet ont été bien élagués lors de ses reprises successives. Imposante est aussi la liste des ouvrages et articles utilisés, dont beaucoup parus en Suisse allemande, ce qui paraît bien naturel mais mérite d’être souligné, à l’heure où les historiographies des deux parties du pays ont tendance à tomber dans une ignorance réciproque.

D’une manière assez classique, le livre se divise en trois parties : les années de formation, jusqu’à l’élection au Conseil d’Etat, en 1868 ; le chef politique, entre Lausanne et Berne ; le conseiller fédéral, de 1881 à sa mort. A l’intérieur de chaque partie, une répartition en chapitres et sous-chapitres permet d’adopter un ordre thématique, sans abandonner toutefois la chronologie. C’est une construction heureuse qui permet de réduire à un minimum les redites.

Agréablement présenté, le livre est abondamment illustré, en grande partie par des portraits et caricatures de presse. Ces dernières auraient toutefois nécessité quelques lignes explicatives, tant leurs allusions, évidentes pour les contemporains, sont devenues obscures. Ajoutons que presque chaque personnage mentionné est automatiquement muni d’une brève notice biographique en bas de page, ce qu’on trouvera peut-être lassant, mais qui rendra service aux chercheurs. L’auteur, qui se présente volontiers comme « publiciste », recourt à un style imagé et percutant, presque constamment hyperbolique. Agréable au début, cette manière d’écrire, avec des phrases aux structures identiques, tourne rapidement au procédé. Ce recours constant à l’hyperbole aboutit à un portrait dithyrambique du « Grand Louis », qui tombe sous le coup de la critique pleine de verve que Meuwly adressait aux hagiographies de ses prédécesseurs. Ajoutons qu’une relecture attentive aurait permis d’éliminer certaines images (« la pensée fiscale » de Gambetta servant « d’accoudoir » à des radicaux vaudois, p. 89 ; ou ce traité qui « débarque » sur le bureau du Parlement, p. 149), et de rectifier quelques incorrections.

Il nous semble que l’auteur n’a pas tiré tout le parti possible de l’étendue de ses recherches et de la masse de sa documentation. Une première raison est peut-être due à son attirance pour l’histoire classique des idées. Il excelle à résumer telle ou telle doctrine. Cela lui permet de fort bien situer Ruchonnet dans le courant des idées en Europe ; les évocations de Gambetta et de Jules Ferry, par exemple, nous paraissent fort bien venues. De même que l’insertion du rapprochement de 1892 entre radicaux et libéraux vaudois dans un contexte suisse et même européen. Plus discutable est sa propension à vouloir déceler des influences. D’abord, comme il le montre lui-même, parce que Ruchonnet, comme les autres radicaux vaudois, n’est pas un théoricien ; son système de valeurs, peut-être plus élastique que n’en convient son biographe, est plus implicite qu’explicite ; ses idées, peu originales, sont celles du temps et il est difficile de les attribuer à une influence déterminée. Il admirait peut-être Gladstone, mais avait-il besoin des écrits de celui-ci pour élaborer sa conception des rapports entre l’Eglise nationale et l’Etat, dans la droite de ligne de Druey et des radicaux vaudois ? On regrettera, à ce propos, l’emploi du terme laïcité, comme le font d’autres historiens suisses d’ailleurs, alors qu’il devrait être réservé à une véritable séparation de l’Eglise et de l’Etat et non à la simple prédominance de celui-ci. Autre problème d’influence : vers 1868 Ruchonnet s’intéresse à 1a coopération, ce qui lui vaudra d’être délégué au deuxième congrès de l’Association internationale des travailleurs, à Lausanne. Meuwly ne résiste pas à la tentation de présenter un résumé des idées du coopérateur allemand Schulze-Delitzsch. Ruchonnet les a connues (il leur a même consacré un exposé), mais cela suffit-il à en faire un disciple ? Les nombreuses tendances de la coopération française n’ont-elles pas joué un rôle aussi important ?

Cette recherche des influences conduit l’auteur à un exposé des idées proudhoniennes. Non qu’il considère Ruchonnet comme un disciple du Franc-comtois, bien sûr, mais parce que ce serait le cas de Delarageaz et de quelques autres. Or, entretenir, comme celui-ci, des relations épistolaires amicales avec Proudhon ne signifie nullement être son disciple. D’ailleurs, dans ses « Carnets », le 12 octobre 1847, le philosophe franccomtois se moque de « cet excellent M. de la Rageaz » qui lui avait envoyé un projet de Constitution vaudoise si complet que « tout le peuple n’aurait pas suffi à remplir les emplois ». Autre prétendu représentant du proudhonisme « dans sa pureté ‘gauchiste’ » : Abram Daniel Meystre. C’est oublier que, pour lui, le grand homme n’était pas Proudhon mais Mazzini.

L’attrait de l’auteur pour l’histoire des idées nous vaut toutefois d’excellentes pages sur 1’activité du parlementaire fédéral Ruchonnet lors des révisions constitutionnelles de 1872-1874. D’autres chapitres, en revanche, laissent plus à désirer, car on se perd sous une accumulation de détails, énoncés chacun dans le style coloré et hyperbolique propre à l’auteur. Les lignes générales s’estompent et l’histoire s’efface devant la chronique. C’est là, croyons-nous, le défaut essentiel de l’ouvrage. Le biographe a rassemblé tous les faits, petits ou grands, mais trop souvent il ne discerne pas les problèmes historiographiques qu’ils soulèvent. Aurait-il pu tous les résoudre ? Probablement pas, ne fût-ce qu’à cause des lacunes des sources et de l’absence de travaux préparatoires. Cependant, dégager un problème de la gangue des faits, le poser et en établir les données demeure un moment essentiel de la démarche historienne.

Bornons-nous à quelques exemples. A plusieurs reprises, il est question du « parti » radical : de sa « reconstruction » par Ruchonnet après 1862, de sa « consolidation » après l’élection du Vaudois au Conseil fédéral, en 1881. Fort justement l’auteur relève que la notion de parti politique recouvre alors des réalités bien différentes de celles d’aujourd’hui. Il a d’excellentes pages sur les réseaux d’influence, sur le « système » Ruchonnet qui, depuis le « Grand Bureau », c’est-à-dire sa prospère étude d’avocats, tire tous les fils. Il voit à juste titre, dans le « Grand Louis » un homme de pouvoir, préférant à l’occasion la réalité de celui-ci à ses apparences (les fonctions électives). Mais il manque une étude systématique et une réflexion sur l’évolution du « parti » depuis l’Association patriotique de Delarageaz, en 1815 jusqu’au système Vessaz. Pourtant le passage de l’appareil permettant la mobilisation des masses, avec ses organisations locales et sa hiérarchie émanant de la base, aux réseaux d’influence, souvent occultes pose plus d’un problème. De la conquête du pouvoir et de sa conservation par l’agitation populaire, on passe à la répartition des prébendes et sinécures de l’Etat et au clientélisme que cela implique. S’y ajoute l’affairisme radical grandissant, lié pour une part aux affaires ferroviaires, qui est bien relevé, mais sur lequel l’auteur demeure d’une remarquable discrétion. Pourtant les relations Ruchonnet-Antoine Vessaz, bien documentées, semble-t-il, auraient pu constituer un point de départ ouvrant des perspectives prometteuses. Comment ce modeste employé, véritable créature de Ruchonnet, put-il s’élever au sein des réseaux de celui-ci jusqu’à dépasser et supplanter son patron, se retrouvant à la tête d’un vaste système occulte de pouvoir ? On aurait aimé quelques précisions sur les fonctions très particulières de « receveur », sources de multiples abus et scandales. Leurs titulaires étaient rétribués au prorata des impôts collectés ; à la tête de la recette de Lausanne, Vessaz, à en croire la Gazette, se versait un traitement quintuple de celui d’un conseiller d’Etat. Comme ses fonctions lui donnaient accès à des informations confidentielles sur les revenus et la fortune de chacun, le tout puissant et rapace receveur avait accumulé fortune et pouvoir. Jusqu’au scandale final, en 1892, quand, à la suite d’un conflit d’intérêts ferroviaires, des journaux extérieurs au canton révélèrent qu’à la veille de la fusion de deux compagnies à laquelle Vessaz avait présidé, trois ans auparavant, il avait bénéficié d’une faveur de 72’000 fr. Lâché par les siens, démissionnaire, bientôt exilé, il n’entraîna personne dans sa chute. Comme l’indique A. Clavien dans son Histoire de la Gazette de Lausanne – qui d’ailleurs donne un récit beaucoup plus clair de l’affaire que Meuwly –, il y avait une atmosphère d’omerta, radicaux et libéraux s’entendant tacitement pour ne pas remuer des affaires où tant de personnes étaient impliquées.

Pour notre biographe, les rapports Vessaz-Ruchonnet relèvent de la pure amitié. Pourtant, il apporte deux éléments qui laissent songeur et auraient mérité plus qu’une simple mention. A une date non précisée, Ruchonnet aurait contracté auprès de Vessaz un emprunt, pour éponger les dettes de son fils Paul dans le Jura bernois (p. 376). Après la chute du receveur, le conseiller fédéral lui avait remis une grande partie des lettres qu’il en avait reçues, pour lui permettre d’organiser sa défense (p. 28).

Malgré son ampleur, cette biographie ne répond pas toujours aux questions qu’on est en droit de se poser. Cependant, l’étendue de sa documentation facilitera la tâche de ceux qui voudront en reprendre certains points.

Citation:
Marc Vuilleumier: compte rendu de: Olivier Meuwly, Louis Ruchonnet 1834-1893. Un homme d'Etat entre action et idéal, Lausanne, 2006, Bibliothèque historique vaudoise 128, 470 p. Première publications dans: Revue historique vaudoise, tome 114, 2006, p.360-362.

Redaktion
Veröffentlicht am
26.05.2010
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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